mouvement-monnaie-juste

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Qui crée et comment est créée la monnaie ?

 

« La banque fabrique de l’argent à partir de rien. C’est le métier de banquier. La banque crée de l’argent ex nihilo. C’est quelque chose qui est très difficile à comprendre. »

Bernard Maris1

 

Vous pensez que la monnaie à un équivalent or. Or c’est faux depuis longtemps comme nous l’avons vu. La vaste majorité de l’argent est créée en quantité phénoménale, chaque jour, par des entreprises privées, les banques. La plupart d’entre nous croient que les banques prêtent de l’argent leur ayant été confié par des dépositaires. Cela est facile à imaginer, mais ce n’est pas la réalité. En fait, les banques créent l’argent qu’elles prêtent, non pas à partir des possessions des propriétaires, ni de l’argent déposé, mais directement à partir de la promesse des emprunteurs de les rembourser. La signature de l’emprunteur sur le contrat de prêt constitue une obligation de payer à la banque le montant de l’emprunt plus les intérêts, ou alors de perdre la maison, la voiture, ou tout bien ayant constitué la garantie. C’est donc un engagement important pour l’emprunteur. Qu’est-ce que cette même signature implique pour la banque ? La banque se doit de faire exister le montant du prêt et simplement le créditer informatiquement sur le compte de l’emprunteur. Cela paraît invraisemblable ? Assurément, ça ne peut être la vérité… Pourtant ça l’est. En clair, si vous avez besoin de 20 000 euros pour acheter une nouvelle voiture par exemple. Vous allez voir votre banquier qui étudie vos capacités de « remboursement » et décide s’il va oui ou non vous « prêter » cet argent. Auquel cas, il n’a en réalité qu’à inscrire la somme sur votre compte. Il vous fait signer quelques papiers vous engageant à lui rembourser le capital qu’il vous a prêté plus les intérêts convenus, sous peine de saisie de vos biens ou d’autres compensations. Le banquier porte à l’actif de son bilan une créance de 20 000 euros, et au passif les 20 000 euros qu’il vient de mettre sur votre compte. Cette monnaie s’appelle de la monnaie d’endettement ou de la monnaie scripturale, et elle est née avec les premières banques. Mais le banquier n’a pas créé les intérêts qu’il vous demande de payer. Si vous parvenez à rembourser votre prêt, les 20 000 euros disparaîtront de la masse monétaire. C’est pourquoi on qualifie aussi ce type de monnaie de temporaire ou encore de « monnaie de crédit ». Seuls resteront les intérêts que vous aurez versés. Ils représentent la rémunération du banquier pour avoir créé de l’argent à partir de rien ou ex nihilo. La seule contrainte réelle qui permette de limiter l’octroi par les banques de crédit est les règles prudentielles (cf. partie II, chap. 11).

Les banquiers vous diront qu’ils ne font que de l’intermédiation financière ; selon leur théorie, les banques ne sont que des intermédiaires entre les épargnants et les emprunteurs. Selon eux, il existe une quantité finie de monnaie dont les banques et les marchés financiers ne sont que des intermédiaires. Le prix des actifs financiers et les taux d’intérêt fluctuent librement pour permettre l’allocation par le biais de la rencontre de l’offre et de la demande et de la concurrence d’une ressource monétaire rare par essence puisque présente en quantité finie. Mais de fait, les banques peuvent théoriquement créer presque 100 fois plus de monnaie de crédit que de monnaie centrale en dépôt avec un taux de réserves obligatoires de 1 % (actuellement imposé par la BCE) ou presque 20 fois plus de monnaie de crédit que de monnaie centrale en dépôt avec un taux de réserves obligatoires de 5 % par des chaînes de crédits successifs.

Comme fonctionne cette chaîne de crédits successifs ? Premièrement, depuis un dépôt par un client de 100 euros en billet banque centrale, la banque A peut offrir un crédit de 99 euros (elle doit garder 1 % de réserve). Ces 99 euros ne sont pris de nulle part ailleurs, c’est de l’argent tout neuf, simplement inscrit sur le compte de l’emprunteur comme crédit bancaire. Ensuite, l’emprunteur fait un chèque de 99 euros depuis ce crédit pour acheter un bien. Deuxième étape : La vendeuse dépose ce chèque de 99 euros sur son compte de la banque B. Du coup, cette banque B peut accorder un autre prêt de 98,01 euros (1 % de réserve soit 0,99 euro). Troisième étape : Lorsque ces 98,01 euros sont déposés par une tierce personne à la banque C, ils deviennent la base légale d’un troisième crédit, cette fois pour un montant de 96,06 euros.

Telle une de ces poupées russes où chaque couche contient une poupée légèrement plus petite, chaque nouveau dépôt contient le potentiel pour un prêt légèrement plus petit suivant une série décroissante de crédits successifs. Maintenant, si l’argent prêté n’est pas déposé à la banque, le processus s’arrête, c’est la part imprévisible du mécanisme de création monétaire – techniquement les banquiers appellent cela : les fuites.

Mais plus vraisemblablement, à chaque étape, l’argent sera déposé dans une banque et le procédé de répartition peut se répéter encore et encore, jusqu’à ce que 9 640 euros théoriquement (c’est-à-dire sans aucune fuite, la somme de la suite : 9640 = 99 + 98,01 + 96,06 + 95,10 +…) d’argent neuf soient créés au sein du système bancaire depuis un dépôt de 100 euros.

D’un point de vue mathématique, il s’agit simplement d’une série dont la somme à la limite est 1/c, soit ici 1/0,01 = 100 fois la somme de départ (dans l’exemple avec 100 euros on arrive à 97,4034 fois parce que l’on ne peut pas diviser les centimes d’euro). Autrement dit, si l’obligation de réserve impose un taux c, les banques peuvent multiplier les crédits qu’elles créent par le facteur multiplicateur N = 1/c. La seule limite à cette création est le risque que court la banque, si elle prête à des clients incapables de la rembourser, d’être entraînée dans leur faillite.

Tout cet argent a été créé entièrement à partir de dettes, et le tout a été légalement autorisé par le dépôt initial de 100 euros. De plus avec cet ingénieux système, comme la comptabilité de chaque banque de la chaîne doit montrer que la banque a 1 % en plus de dépôts que d’argent qu’elle a prêté, cela donne aux banques un très bon motif pour acquérir des dépositaires, afin d’être capable d’émettre des prêts, supportant l’impression générale mais trompeuse que l’argent prêté est celui des dépôts ; elles sont donc très « sensibles » à un élément qui est rarement pris en compte, leur « part de marché respective ».

Le ratio entre la quantité de monnaie centrale (M0) injectée et la somme des montants enregistrées sur les comptes des agents économiques (DAV ou M1) a varié de 20 % (1 euro de monnaie centrale pour 5 euros de DAV) au début des années 2000 à presque 40 % actuellement en zone euro. Donc une augmentation de la monnaie centrale injectée n’implique pas forcément une augmentation de la masse monétaire (théoriquement ce ratio pourrait être d’un peu plus de 1 % avec un taux de réserves obligatoires de 1 % avec partout des chaînes de crédits successifs sans fuite). Ce système de réserves fractionnaires n’est pas ce qui limite le plus la création monétaire. Ce qui limite les banques commerciales, c’est surtout le ratio McDonough (cf. partie II, chap. 11). Ce ratio, M0/M1, s’est mis à varier fortement à partir de la crise de 2008.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les paiements fait autrement qu’avec du cash, avec une carte bancaire, par chèque ou par virement par exemple, sont simplement des transferts de promesses de mises à disposition de monnaie centrale (billets de banque). L’explication la plus cohérente et la plus conforme à la réalité, mais que les maîtres de la finance ne voudront évidemment jamais admettre, c’est de fait une création monétaire ex nihilo par le crédit. Ludwig von Mises en parlera dès 1912 et comme nous le verrons dans la partie IV, avec la crise des années 1930, des économistes vont dévoiler cette supercherie. De fait, le système monétaire/bancaire actuel, ce sont des « promesses de mises à disposition de monnaie » qui circulent entre les banques. D’abord les banques font les crédits et seulement ensuite la Banque centrale doit parfois émettre de la monnaie en fonction des déséquilibres de compensation entre les banques pour que les « promesses » puissent continuer à circuler entre les banques. Et donc logiquement, grâce à cette escroquerie, tout finit par appartenir à la sphère financière et c’est, avant tout, pour cette raison que le capitalisme doit être rejeté comme idéologie, comme paradigme, comme système d’organisation de l’exploitation du travail humain.

Au xive siècle est inventée la lettre de change, ou traite, pour les règlements à distance : le banquier, moyennant rémunération, s’interpose entre les marchands pour centraliser les lettres de change, les évaluer et effectuer les opérations de compensation et de change entre monnaies différentes. Au xviiie siècle est apparu l’escompte : la banque, en achetant une traite à son client, fait du crédit. Ce n’est qu’au xxe siècle que la monnaie scripturale s’est diffusée dans le grand public.

Cette monnaie n’est qu’un jeu d’écriture dans la comptabilité des établissements qui la créent, et elle se transfère d’un compte à l’autre par l’intermédiaire d’un ordre, qui peut être écrit (un chèque) ou informatisé (une carte bancaire). Précisément, le processus de création de la monnaie scripturale est l’augmentation simultanée de l’actif et du passif d’un compte tenu par un établissement financier. Il est si facile qu’on pourrait croire que l’émission de cette forme de monnaie est réservée aux pouvoirs publics, qui l’emploieraient pour adapter la masse monétaire nationale aux besoins de l’ensemble de la population. Eh bien, non seulement cette facilité ne leur est pas réservée, mais elle n’est même plus du ressort des gouvernements ! Elle est le privilège uniquement des banques et d’autres organismes de crédit définis en ces termes : « Tout établissement de crédit ayant reçu des autorités monétaires un “agrément” pour la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement, et qui effectue des opérations financières avec les agents non financiers (c’est-à-dire les entreprises, les particuliers ou les administrations) peut créer de la monnaie scripturale. » En France, ce privilège de « gestion des dépôts à vue transférables » était, en 1999, à 70,9 % réservé aux banques commerciales, à 9,4 % aux chèques postaux, à 6,2 % aux caisses d’épargne (depuis 1978), à 11,6 % au Trésor public et à 1,9 % aux autres (dont la Banque de France). Mais au 31 décembre 2001, ce privilège a été supprimé pour le Trésor public ! Notre monnaie sous sa forme scripturale est donc créée par des établissements financiers qui sont en majorité des groupes d’intérêts privés.

La double inscription, ou « provision » d’un compte en banque peut être provoquée : soit par la remise d’espèces (billets et pièces), soit par virement d’un autre compte, soit enfin grâce à un crédit accordé par la banque. Dans ce dernier cas, le crédit donne lieu à une double inscription, exactement comme s’il y avait eu dépôt réel, ce qu’on exprime parfois en ces termes : « les crédits font les dépôts ». Ce troisième procédé de provisionnement, généré par un dépôt virtuel tel qu’une traite, c’est-à-dire une promesse, génère donc ex nihilo de la monnaie scripturale : il est assorti des mêmes instruments de paiement (chéquiers ou cartes bancaires) que dans les deux procédés liés à un dépôt non fictif, il provoque donc l’augmentation de la masse monétaire en circulation quand les flux de ces crédits nouveaux sont supérieurs aux flux des remboursements de crédits antérieurs.

Mais quelle est la garantie de la monnaie ? Lorsqu’elles étaient d’or ou d’argent, les pièces de monnaie avaient une valeur intrinsèque, celle du métal qu’elles contenaient. Cette valeur était garantie : fabriquées sous le contrôle d’un souverain, son effigie y figurait, ce qui attestait qu’il se portait garant de son poids et de son « bon aloi ». Le problème de cette forme de monnaie fut longtemps la diversité des pièces, après qu’au démembrement de l’empire de Charlemagne, tout seigneur voulut sa monnaie, valable dans son fief. Pendant des siècles, les rois échouèrent à reprendre ce droit pour établir l’unité des monnaies dans tout le royaume, malgré le nom de Franc que Jean II, dit le Bon, donna en 1360 à cette monnaie qui servit à payer la rançon qui le libéra des Anglais. Il fallut attendre la Convention en 1795 pour que l’unité monétaire soit établie. Mais aujourd’hui nos pièces métalliques, sans métal précieux, n’ont aucune valeur intrinsèque et les billets de banque ne sont plus convertibles contre l’or dont, autrefois, ils attestaient le dépôt. Et pourtant, ce sont ces deux seules formes de la monnaie qui constituent la monnaie légale. On les désigne aussi par monnaie fiduciaire, du latin fiducia, la confiance. Pourquoi ? Parce que seule la monnaie sous la forme des pièces et des billets a « pouvoir libératoire illimité », ce qui signifie que sa validité en tant que moyen de paiement est garantie, et elle l’est parce qu’elle est créée sous contrôle de la Banque centrale : celle-ci met en circulation les pièces métalliques qui sont fabriquées sur son ordre par l’Administration de la Monnaie et des Médailles et elle a gardé le monopole acquis de la fabrication des billets. Ce contrôle apparaît donc comme une sorte de survivance du droit régalien de battre monnaie, et c’est ce reste d’un droit souverain qui confère à la Banque centrale le nom d’Institut d’émission. C’est probablement de ce terme que se sont largement répandus l’idée ou le sentiment que toute la monnaie est créée sur ordre d’une institution d’État. Mais c’est une illusion. En réalité la monnaie légale, ou « fiduciaire », n’est que de l’argent de poche. Elle ne constitue qu’environ 5 à 7 %, de la masse monétaire en circulation. Pour les paiements des achats quotidiens, on préfère les chèques et les cartes bancaires aux billets… qui servent aussi pour le blanchiment de l’argent sale parce que leur anonymat permet de les transporter discrètement. Sans cet usage pervers, le montant total des billets serait donc encore bien moindre. L’essentiel de la masse monétaire est de la monnaie scripturale. Or celle-ci n’a, par nature, aucune valeur intrinsèque et, en plus, contrairement à la monnaie fiduciaire, elle ne bénéficiait d’aucune garantie légale. Depuis le 1er octobre 2010, les dépôts bancaires sont couverts en cas de défaillance de la banque, à hauteur de 100 000 euros maximum par déposant et par établissement, quel que soit le nombre de comptes possédés.

Ce n’est pas l’État qui garantit les dépôts bancaires, mais le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), institution de droit privé créée en 1999 et gérée par les banques contribuant au fonds, qui est chargée de dédommager les déposants, à la demande de l’instance de régulation du secteur financier, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution2 (ACPR), lorsque leur banque ne peut plus faire face à ses engagements. Le montant de ce fond ne permet d’indemniser qu’environ 30 000 déposants à hauteur de 100 000 euros. La directive « DGSD2 » a été adoptée le 16 avril 2014 transposée dans le droit français depuis fin 2015 et assortie de cinq arrêtés d’application publiés en date du 27 octobre 2015 et a introduit plusieurs avancées significatives pour les déposants. Cela dit, comme cette monnaie n’est qu’un jeu d’écritures dans la mémoire de l’ordinateur de la banque, elle disparaît en effet si la banque fait faillite. Quand, client d’une banque, vous déposez des espèces ou remettez un chèque à son guichet, la somme correspondante est inscrite à l’actif de la banque : elle en est donc désormais propriétaire. La même somme est également inscrite à son passif, puisqu’il est entendu qu’elle vous la doit. Elle est désormais votre débiteur, vous êtes son créditeur. Et si elle est un jour déclarée en faillite, c’est-à-dire si elle est mise dans l’impossibilité d’acquitter ce qu’elle doit, vous n’êtes que l’un de ses nombreux créditeurs.

93 à 95 % de la monnaie n’existe aujourd’hui que sous forme de crédit et donc de dettes. Si tous les citoyens du monde, las de toutes leurs dettes, décidaient de les régler toutes en même temps, que se passerait-il ? Tout simplement : il n’y aurait plus de monnaie du tout ! En réalité, il est impossible de régler toutes les dettes puisqu’aucune banque n’a créé la monnaie correspondant aux intérêts demandés. Il est mathématiquement impossible de payer toutes les dettes car pour cela il faudrait plus de monnaie qu’il n’en a été mis en circulation. C’est la vraie raison d’être de la doctrine de la croissance. Nous devons créer toujours plus de crédits afin de pouvoir rembourser les intérêts. Mais en créant ces crédits, nous engendrons de nouveaux intérêts qu’il faudra payer en faisant de nouveau crédit et ainsi de suite. C’est une spirale sans fin, c’est la spirale de la dette.

L’intérêt est la cause principale de l’inflation, puisqu’avec un crédit à 5 % par an par exemple, c’est le double de la somme empruntée qui doit être remboursée sur quinze ans, par le jeu des intérêts composés. Sans parler des ravages que font les intérêts à taux variable. L’intérêt est le premier responsable de la pauvreté dans le monde et de l’élargissement de la fracture sociale. Sachez que les prix que vous payez sont constitués à 30-40 % du seul poids des intérêts. Plusieurs économistes ont tenté de déterminer la part des intérêts cumulés dans tout ce que nous achetons, comme l’ont mis en évidence dans leurs études Magrit Kennedy et Ralph Becker. Suivant le volume de l’investissement nécessaire à telle ou telle production, les estimations sont imprécises, elles s’établissent entre 25 % et 40 % et dépendent des taux auxquels les entreprises ont emprunté ; car ces intérêts, comme l’est la publicité, interviennent évidemment dans la détermination des prix de vente et se cumulent à tous les stades de la production. Imaginez la somme colossale qui est transférée du monde de l’économie réelle au monde financier !

À l’origine, les intérêts servaient à rémunérer les épargnants dont les dépôts permettaient d’effectuer les prêts, le banquier se payant grâce à la différence des taux. Mais dans le contexte actuel, étant donné la façon dont la monnaie est créée, cela n’est plus justifié. Nous devons prendre conscience de cette situation aberrante et réclamer la fin de ces privilèges honteux et absurdes, car plus le temps passe, et plus la finance internationale s’accapare les vraies richesses du monde (les réserves minières, la terre, les biens immobiliers…) qu’elle achète avec de la monnaie de singe, de la monnaie qu’elle sort de son chapeau de magicien.

Donc, aujourd’hui, les principaux acteurs de la création monétaire sont les banques de second rang, les banques commerciales – la banque de premier rang est la Banque centrale d’un pays. Chaque fois qu’une banque commerciale accorde un crédit à un agent économique, il y a création monétaire car les moyens de paiement à la disposition de l’économie sont augmentés d’autant. Inversement, chaque fois qu’un crédit est remboursé la masse monétaire diminue d’autant. Les sources ou contreparties de la masse monétaire sont les créances figurant à l’actif des banques, en contrepartie desquelles la monnaie est créée ; la Banque centrale prête de la « monnaie Banque centrale » (monnaie fiduciaire, dite « liquide ») aux banques de second rang en échange de titres ou de créances déposés par ces banques. Les billets et les pièces, M0 (cf. partie II, chap. 10), représentent moins de 10 % de M1 qui comprend à la fois la monnaie fiduciaire et la monnaie scripturale. Donc l’essentiel de M1, c’est la monnaie scripturale, c’est-à-dire les dépôts à vue (DAV) d’un particulier mobilisables par chèques, une monnaie qui n’existe qu’en fonction de la confiance accordée par les banques aux emprunteurs. En effet, les banques ont l’avantage (et prennent le risque) de prêter une monnaie qu’en grande partie elles ne possèdent pas (puisque statistiquement seulement une petite partie sera exigée en espèces, c’est-à-dire en monnaie Banque centrale).

Revenons à l’histoire des orfèvres pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là. L’or et l’argent se sont imposés comme on l’a vu dans la première partie. Les orfèvres rendirent le commerce plus facile en fabriquant des pièces, c’est-à-dire des unités standards de ces métaux, dont le poids et la pureté étaient certifiés. Pour protéger son or, l’orfèvre avait besoin d’un coffre. Et bientôt ses contemporains vinrent frapper à sa porte, afin de louer un espace pour entreposer en sécurité leur propre or et leurs propres valeurs. Les années passèrent, et l’orfèvre fit une observation avisée. Les dépositaires venaient rarement retirer leur or physiquement présent dans le coffre, et de plus ils ne venaient jamais en même temps. La raison était que les reçus que l’orfèvre avait donnés en échange de l’or étaient échangés sur le marché comme si c’était l’or lui-même. Cette monnaie papier était bien plus pratique que les lourdes pièces. En même temps, l’orfèvre avait une autre affaire : il prêtait son propre or en faisant payer des intérêts. Comme ses reçus étaient unanimement acceptés, les emprunteurs demandaient pour les prêts des reçus en lieu et place d’or véritable. Au fur et à mesure que cette industrie se développait, de plus en plus de gens demandaient des prêts et cela donna à l’orfèvre une meilleure idée. Il savait que bien peu de ses dépositaires retiraient leur or, donc l’orfèvre se figura qu’il pouvait sans problème échanger des reçus contre l’or de ses dépositaires, en plus du sien. Aussi longtemps que les prêts étaient remboursés, ses dépositaires n’en sauraient rien, sans dommage pour eux. Et l’orfèvre, désormais plus banquier qu’artisan, faisait un profit supérieur à ce qu’il aurait pu obtenir en ne prêtant que son propre or. Pendant des années, l’orfèvre profita discrètement du revenu confortable des intérêts des prêts de l’or de ses dépositaires. Maintenant, en tant que prêteur proéminent, il était plus riche que ses concitoyens, et il l’affichait ostentatoirement. Des soupçons s’élevèrent selon lesquels l’orfèvre dépensait l’argent des dépositaires. Les dépositaires se rassemblèrent et menacèrent l’orfèvre de retirer leur or si celui-ci n’expliquait pas l’origine de sa récente fortune. Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, cela ne tourna pas au désastre pour l’orfèvre. Malgré le caractère intrinsèquement frauduleux de sa démarche, son idée fonctionnait parfaitement. Les dépositaires n’avaient rien perdu. Leur or était en sécurité dans le coffre de l’orfèvre. Au lieu de retirer leur or, les dépositaires exigèrent que l’orfèvre, dorénavant leur banquier, partage ses profits avec eux en leur payant une partie des intérêts. Ce fut le début du système bancaire. Le banquier payait un faible taux d’intérêt sur les dépôts d’argent des clients, qu’il prêtait ensuite à un taux plus élevé. La différence couvrait les coûts des opérations ainsi que les profits. La logique du système était simple et cela semblait un moyen raisonnable de satisfaire les demandes de crédit.

Notre orfèvre-banquier n’était pas satisfait de ses marges après avoir partagé les intérêts des prêts avec les dépositaires. De plus la demande de crédits s’accroissait rapidement. Mais les prêts étaient limités par le montant d’or que les clients avaient déposé. Et c’est là qu’il eut une idée bien plus subtile. Comme personne d’autre que lui ne savait ce que contenait le coffre, il pouvait prêter des reçus sur de l’or qui n’existait pas réellement. Aussi longtemps que les détenteurs de reçus ne venaient pas tous simultanément demander leur or, comment cela pourrait-il se savoir ? Ce nouveau schéma fonctionna parfaitement, et le banquier devint immensément riche grâce aux intérêts sur des prêts d’or qui n’existait pas. L’idée que le banquier puisse créer de l’argent à partir de rien était trop inimaginable pour être crue. Donc pendant longtemps, cette pensée ne traversa pas l’esprit des gens. Mais le pouvoir d’inventer de l’argent monta à la tête du banquier et finalement, l’ampleur des prêts accordés et sa richesse affichée déclenchèrent à nouveau des suspicions. Certains emprunteurs commencèrent à demander de l’or véritable à la place des représentations papier. Les rumeurs se propagèrent. Un jour, beaucoup de riches dépositaires vinrent simultanément retirer leur or. C’en était fini. Un océan de titulaires de reçus déferla dans les rues jouxtant les portes closes de la banque. Hélas, le banquier n’avait pas assez d’or ni d’argent pour honorer tous les reçus qu’il avait placés dans leurs mains. C’est ce qu’on appelle l’assaut de la banque ou ruée bancaire, panique bancaire (en anglais : bank run), et c’est ce que chaque banquier redoute. Ce phénomène d’assaut a ruiné des banques individuelles et, peu étonnamment, a fortement détérioré la confiance publique envers les banquiers. Il eût été simple de rendre illégale la pratique de la création d’argent ex nihilo, mais les larges volumes de crédit que les banquiers offraient étaient devenus essentiels au succès de l’expansion commerciale – que l’on n’appelait pas encore économique à l’époque. Cette pratique fut donc légalisée et régulée. Les banquiers ont accepté de limiter la quantité d’argent fictif de prêts pouvant être mis à disposition.

La limite était quand même bien supérieure à la valeur totale de l’or et de l’argent entreposés dans le coffre ; le rapport souvent adopté a été de neuf unités monétaires fictives pour une unité monétaire d’or réel. Ces régulations étaient soutenues par des inspections-surprises. Il était également convenu que dans le cas d’un assaut, les banques centrales aideraient les banques locales avec des transfusions urgentes d’or. C’est seulement en cas d’assaut simultané sur plusieurs banques que la bulle de crédit imploserait et que le système serait anéanti.

Aujourd’hui, la nature même de la monnaie a changé. Le système de réserves fractionnaires, avec son réseau intégré de banques soutenues par une banque centrale, est devenu le système monétaire dominant sur la planète. Dans le même temps, la fraction d’or soutenant l’argent des dettes s’est réduite à néant, et ceci s’est passé très exactement le 15 août 1971 avec le dollar US – dernière monnaie gagée sur l’or à hauteur de 35 USD pour une once d’or3. Autrefois, le dollar papier était vraiment un reçu qui pouvait être échangé contre un montant fixe d’or ou d’argent. Actuellement, un dollar ou un europapier ou numérique ne peut être échangé que contre un autre dollar ou un europapier ou numérique. Avant, les crédits créés par les banques privées n’existaient que sous forme de document bancaire privé que les gens avaient le droit de refuser, de même qu’aujourd’hui nous pouvons refuser un chèque privé. Aujourd’hui, un crédit bancaire privé est légalement convertible en monnaie fiduciaire créée par le gouvernement : dollars, euros, livres, etc., que nous voyons habituellement comme de la monnaie. La monnaie fiduciaire est une devise créée par ordonnance ou décret gouvernemental, et les lois en vigueur stipulent que les citoyens doivent accepter cette monnaie comme paiement pour une dette sous peine qu’en cas de refus, les tribunaux annulent la dette en question.

Si les gouvernements par leurs banques centrales et les banques peuvent tous deux créer de l’argent, combien d’argent existe-t – il ? Autrefois, la quantité totale de monnaie existant était limitée par les quantités physiques effectives des objets servant de monnaie. Ainsi, pour créer de nouvelles pièces de monnaie, l’or ou l’argent devait être extrait du sol. Aujourd’hui, la monnaie est créée par les dettes bancaires. De la monnaie est créée aussitôt que quelqu’un contracte un prêt auprès d’une banque. Théoriquement, la quantité totale de monnaie pouvant être créée n’a aucune limite. De façon symétrique à la création monétaire est le mouvement de destruction monétaire lors du remboursement des crédits. Donc, la monnaie est créée lors des emprunts bancaires et elle est détruite progressivement à chaque mensualité lors du remboursement de cet emprunt. La partie « capital » que vous remboursez chaque mois est de fait de la destruction monétaire… et la partie « intérêt » est le profit brut de la banque qui n’a jamais été créé et qui doit être ponctionné dans la masse monétaire générale. Logiquement, comme toute la monnaie est créée par les emprunts, qu’elle est détruite lors des mensualités de remboursement, et que la monnaie des intérêts dus aux banques n’a jamais été créée, alors nous devons plus d’argent aux banques que la masse monétaire existante. En clair, il n’y aurait pas de monnaie en circulation – de masse monétaire – sans emprunts.

Mais pourtant il y a toujours de la monnaie en circulation, tout simplement parce qu’il y a un délai entre le moment où la monnaie est créée et le moment où elle est détruite, autrement dit, le délai entre l’instant où les emprunts sont crédités sur les comptes bancaires (dépôts à vue – DAV) et les instants (t+1, t+2, t+3…) où les mensualités de remboursement sont débitées. De fait, en fonction de la quantité de monnaie empruntée (moins ou plus), il y a soit une contraction (diminution) ou une expansion (augmentation) de la masse monétaire, ce qui implique – en fonction de la quantité des marchandises disponibles – une inflation ou une déflation. On voit donc que les prétendus problèmes « économiques » se résument à des problèmes de flux de monnaies et de masse monétaire… bref, un simple problème de mécanique des fluides pourrait dire l’ingénieur. Il faut une croissance des emprunts pour que la masse monétaire puisse s’accroître suffisamment, afin que la pression sur les différents agents économiques – particuliers et entreprises – pour trouver la monnaie nécessaire afin de payer les mensualités de paiement des emprunts passés ne soit pas trop « forte ». Pour que ce système à réserves fractionnaires puisse perdurer, il faut une augmentation constante de la masse monétaire et donc que les processus de création monétaire doivent l’emporter sur ceux de destruction de monnaie. De ce processus intrinsèque au système monétaire actuel découle une obsession pour la croissance. Sans croissance, ce système s’écroule. Les gouvernements imposent une limite sur la création d’argent neuf en établissant des règles appelées exigences de réserve fractionnaire. Pour la plupart arbitraires, les exigences de réserve fractionnaire varient d’un pays à l’autre, et au cours du temps. Autrefois aux États-Unis, il était fréquent d’exiger que les banques possèdent au moins un dollar d’or réel dans leurs coffres pour 10 dollars de monnaie-dette créés.

Aujourd’hui, les exigences de réserve (il s’agit ici de la totalité des dépôts, pas des fonds propres de la banque) ne s’appliquent plus au rapport entre l’argent neuf et l’or en dépôt, mais au rapport entre la monnaie-dette créée et la monnaie-dette existant déjà en dépôt à la banque. Aujourd’hui, la réserve d’une banque consiste en deux choses : le montant de monnaie centrale que la banque a déposé à la Banque centrale, plus le montant de monnaie-dette existante que la banque a en dépôt.

Le risque que présente la monnaie sous la forme scripturale vient de son mode de création. Du seul fait qu’il est possible d’inscrire n’importe quelle somme sur un compte, il n’existe aucune limite naturelle à la masse monétaire sous cette forme. Cette facilité ayant évidemment mené à des abus, des règles et des contrôles ont été successivement introduits, modifiés, supprimés, etc… Par quels mécanismes les banques commerciales, contrairement à une idée fausse, mais souvent bien ancrée dans les esprits, sont loin de se contenter pour vivre de prêter à certains de leurs clients ce que d’autres leur ont déposé. Elles ont en effet acquis le pouvoir, d’autant plus grand que les dépôts qui leur sont confiés sont plus élevés, de créer de l’argent à partir de rien, «ex nihilo ». Et non seulement elles ont ce pouvoir de prêter ce qui ne leur appartient pas, mais en plus, elles ont celui de le prêter plusieurs fois, parce qu’elles profitent de ce qu’on appelle pudiquement « l’effet multiplicateur du crédit ». Pour illustrer le processus de création monétaire ex nihilo, imaginons une banque toute nouvelle sur le marché. Les investisseurs ont constitué un dépôt de réserve de 1 111,12 euros d’espèces existantes, qu’ils ont mis à la Banque centrale. Admettons que la réserve fractionnaire en vigueur soit de 9/1.

Première étape : la banque ouvre et accueille son premier emprunteur, il a besoin de 10 000 euros pour acheter une voiture. Avec le taux de réserve 9/1, la réserve de la nouvelle banque à la Banque centrale, également dénommée base monétaire, lui permet de créer légalement neuf fois ce montant, soit 10 000 euros, sur la base de la reconnaissance de dette de l’emprunteur. Ces 10 000 euros ne sont pris de nulle part ailleurs, c’est de l’argent tout neuf, simplement inscrit sur le compte de l’emprunteur comme crédit bancaire (ce n’est pas tout à fait exact, puisqu’il faudrait que la banque ait en dépôt 11 111,12 euros en plus des 1111,12 euros de monnaie centrale pour pouvoir prêter ces 10 000 euros, et c’est là toute la subtilité du système à réserves fractionnaires qui fait croire à la plupart des gens, et même aux « petits » banquiers de votre agence locale du C.A. par exemple – celui qui vous fait signer votre contrat de prêt – que la banque prête l’argent de ses déposants). Ensuite l’emprunteur fait un chèque sur ce crédit pour acheter la voiture.

Deuxième étape : la vendeuse dépose ces 10 000 euros nouvellement créés à sa banque. Contrairement à la base monétaire déposée à la Banque centrale, cet argent de crédit récemment créé ne peut pas être multiplié par le taux de réserve. En fait il est réparti selon la fraction de réserve. Au rapport de 9 pour 1, un nouveau prêt de 9 000 euros peut être effectué sur la base de ce dépôt de 10 000 euros.

Troisième étape : lorsque ces 9 000 euros sont déposés par une tierce personne à la banque qui les a initialement créés, ou une autre, ils deviennent la base légale d’un troisième crédit, cette fois pour un montant de 8 100 euros. Telle une de ces poupées russes où chaque couche contient une poupée légèrement plus petite, chaque nouveau dépôt contient le potentiel pour un prêt légèrement plus petit suivant une série décroissante infinie théoriquement. Maintenant, si l’argent prêté n’est pas déposé à la banque, le processus s’arrête, c’est la part imprévisible du mécanisme de création monétaire – techniquement les banquiers appellent cela : les fuites.

Mais plus vraisemblablement, à chaque étape, l’argent sera déposé dans une banque et le procédé de répartition peut se répéter encore et encore, jusqu’à ce que 100 000 euros théoriquement (c’est-à-dire sans aucune fuite, la somme de la suite : 100 000 = 10 000 + 9 000 + 8 100 + 7 290 + 6 561 +…) d’argent neuf soient créés au sein du système bancaire. D’un point de vue mathématique, il s’agit simplement d’une série dont la somme à la limite est 1/c, soit ici 1/0,1 = 10 fois la somme de départ. Autrement dit, si l’obligation de réserve impose un taux de couverture c, les banques peuvent multiplier les crédits qu’elles créent par le facteur multiplicateur N = 1/c. La seule limite à cette création est le risque que court la banque, si elle prête à des clients incapables de la rembourser, d’être entraînée dans leur faillite. Cette « couverture » n’avait pas d’autre raison d’être que d’éviter ce danger aux banques.

Jusque dans les années 1970, chaque pays était libre de fixer son propre taux de couverture. Mais l’activité des banques étant devenue de plus en plus internationale, il a fallu harmoniser ces taux. Un premier accord a été signé à Bâle, en 1974, puis une valeur commune a été adoptée d’abord par une dizaine de grands pays occidentaux, et acceptée ensuite par plus de cent pays, en 1988. Il s’agit du ratio Cooke, qui fixait la réserve obligatoire à c = 8 %. Par ces règles, les banques ne peuvent pas, en principe, créer sous forme de crédit plus de 12,5 fois le montant de leurs fonds propres (les fonds propres doivent représenter au moins 8 % des crédits). Tout cet argent a été créé entièrement à partir de dettes, et le tout a été légalement autorisé par le dépôt initial d’une réserve de seulement 1 111,12 euros qui sont restés assis, intacts, à la Banque centrale. De plus avec cet ingénieux système, comme la comptabilité de chaque banque de la chaîne doit montrer que la banque a 10 % en plus de dépôts que d’argent qu’elle a prêté, cela donne aux banques un très bon motif pour acquérir des dépositaires, afin d’être capable d’émettre des prêts, supportant l’impression générale, mais trompeuse que l’argent prêté est celui des dépôts ; elles sont donc très « sensibles » à un élément qui est rarement pris en compte, leur « part de marché respective ».

Les banques créent aussi de leur propre monnaie pour payer leurs dépenses (immobilier, achats, salaires, charges, etc.) y compris, si elles le souhaitent, pour des actions et des obligations. Ce sont leurs parts respectives de marché qui les empêchent de tout « monétiser » pour leur propre intérêt. Comme disait Keynes, « les banques doivent marcher au même pas », c’est-à-dire que leurs parts de marché de dépôt doivent être liées à leurs parts de marché de crédit y compris pour leurs propres dépenses. D’après André-Jacques Holbecq, les banques ont cette capacité de « monétiser des actifs non monétaires », mais chaque prêt n’est pas dans l’absolu une création ex nihilo. Car les banques sont aussi des établissements financiers qui prêtent les dépôts d’épargne (une partie de M3-M1) de leurs clients. Au final, on peut calculer que sur l’ensemble des prêts/crédits c’est environ 60 % ex nihilo et 40 % d’épargne déjà existante qui, bien entendu, est, elle-même, issue de crédits ex nihilo. Pour André-Jacques Holbecq qui a relu ce chapitre, la « deuxième étape » et la « troisième étape » ci-dessus, sont un peu trop simpliste, la réalité de la création monétaire est encore un peu plus complexe4. Vous comprenez mieux maintenant pourquoi Bernard Maris a dit que la banque fabrique de l’argent à partir de rien, mais que c’est très difficile à comprendre !

Ces dernières décennies, sous la pression incessante des lobbies bancaires, les exigences de constituer un dépôt de réserve à la Banque centrale nationale ont simplement disparu dans certains pays (Australie, Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Suède), il est de 1 % en zone euro, de 2,5 % en Suisse, de 8 à 9 % (Bénin, Burundi, Ghana, Israël, Jordanie, Panama, Sénégal, Sri Lanka, Turquie, Zambie) et peut aller jusqu’à 20 % au Brésil et en Chine. Récemment en introduisant de nombreux frais supplémentaires sur les prêts pour augmenter la contribution de l’emprunteur à la réserve, les banques ont désormais un moyen de circonvenir complètement les exigences de réserve. Donc, alors que les règles sont complexes, dans les faits, la réalité est très simple : les banquiers peuvent créer autant d’argent que nous pouvons en emprunter. Mais les banques ne créent pas l’argent pour payer les intérêts. D’où celui-ci est-il censé provenir ? Le seul endroit où les emprunteurs peuvent aller pour obtenir l’argent pour payer les intérêts est dans la masse monétaire globale de l’économie. Mais toute cette masse monétaire a été créée exactement de la même façon, il s’agit de crédit bancaire devant être remboursé avec plus que ce qui a été créé. Donc partout il y a d’autres emprunteurs dans la même situation, essayant frénétiquement d’obtenir l’argent dont ils ont besoin pour payer à la fois le principal et les intérêts à partir d’un réservoir d’argent qui ne contient que les principaux.

Il est clairement impossible que tout le monde rembourse le principal et les intérêts, car l’argent des intérêts n’existe pas. Cela peut même être exprimé par une simple formule mathématique. P/(P + I) honoreront leur contrat. I/(P + I) seront saisis. En réalité, évidemment, les intérêts perçus sont réinjectés dans la masse monétaire par les achats des employés et des actionnaires des banques. Cela dit, comme l’argent des intérêts n’est effectivement jamais créé, il y a un transfert continu et exponentiel de la richesse par la sphère bancaire. L’exemple le plus simple pour le comprendre est celui utilisé par la petite histoire de Louis Even, « L’Île des naufragés ».

Prenons l’exemple d’une entreprise avec une autre façon de l’expliquer. Soit l’entreprise Dupont qui obtient de sa banque un crédit de 1 000 unités monétaires – euros (€). L’entreprise Dupont la remboursera à l’échéance du montant du crédit. La banque « Des Sous » a à son actif une créance sur Dupont de 1 000 euros et à son passif le compte de Dupont de + 1 000 euros. Quant à l’entreprise Dupont, elle a à son actif un compte à la banque « Des Sous » de + 1000 euros et à son passif une dette à l’égard de la banque « Des Sous » de 1 000 euros. Le crédit a bien été accordé sans dépôt préalable. Il y a bien création monétaire par le banquier. Le multiplicateur de crédit (appelé aussi le multiplicateur keynésien) permet de comprendre comment fonctionne la création de monnaie liée aux crédits accordés par les banques commerciales. Il exprime le lien qui existe entre l’excédent de liquidités et les offres de crédit des banques auprès des agents économiques (donc la création monétaire). C’est un procédé qui permet aux banques de prêter plus d’argent qu’elles n’en détiennent en réserve. Si on suppose que ce sont les dépôts qui font les crédits, l’utilisation de ce crédit va être à l’origine d’un nouveau dépôt qui lui-même donnera naissance à un nouveau crédit, moindre toutefois puisque la banque commerciale va conserver une partie du dépôt sous forme de monnaie Banque centrale, pour faire face aux besoins de ses clients et régler ses dettes vis-à-vis des autres banques. Le crédit est toujours à l’origine d’une surmultiplication de la création monétaire.

L’octroi de crédits est l’une des fonctions principales des banques. Il est à l’origine de la création monétaire, mais des contraintes vont restreindre cette création monétaire : 1/ la création de monnaie dépend des demandes de crédits provenant des entreprises ou des ménages ; 2/ des réserves de monnaie dont disposent les banques commerciales auprès de la Banque de France (la monnaie centrale ou base monétaire) et qui conditionnent la possibilité qu’ont les banques d’octroyer des crédits. On appelle refinancement l’opération qui consiste pour une banque commerciale à se procurer de la monnaie Banque centrale.

Habituellement, les gens pensent que c’est la BCE qui, après avoir entendu dire ou lu, émet au cours d’opérations appelées « refinancement » ou « injection de liquidités » la monnaie dont auraient besoin les banques commerciales pour prêter à leurs clients emprunteurs. Comme on l’a vu, ce n’est pas le cas. De par la loi et leurs statuts, les banques centrales sont les « banques des banques », les garants du système monétaire et disposent du droit d’émission des billets et pièces. Aucune banque commerciale ne peut faire cela. Par contre les banques commerciales, celles que vous connaissez bien, mais aussi toutes les banques d’affaires qui restent très discrètes, se sont vu accorder le droit exclusif d’émettre du crédit, de « faire crédit » et, par la même occasion de créer de la monnaie. Ce droit dont ne disposent pas d’autres établissements financiers, les assureurs par exemple, qui n’ont pas le « label banque » et qui se contentent de collecter l’épargne et de la reprêter en bénéficiant de la différence de taux.

Le terme « dépôt » signifie la provision d’un compte soit par une remise de billets, soit par un virement d’un autre compte, soit grâce à un crédit accordé par la banque et que la monnaie scripturale correspond aux dépôts à vue (DAV) inscrits au passif des banques et détenus par les agents non bancaires. Le solde (positif) d’un compte bancaire est la représentation d’une dette de la banque envers vous… à ce titre, elle ne peut évidemment prêter à qui que ce soit de l’argent qui ne lui appartient pas et sur lequel vous ne lui avez pas donné un accord précis l’autorisant à en disposer.

Le mécanisme de la création monétaire se réalise par un accroissement simultané de l’actif et du passif de la banque. Pour mieux comprendre ce processus, supposons une entreprise qui veut emprunter 100 000 euros auprès d’une banque. Bien sûr, les « règles prudentielles » imposent au banquier de prendre ses précautions, car s’il émet de la monnaie qui va se retrouver dans le circuit économique ou financier, c’est-à-dire augmenter la masse monétaire, il faut qu’il puisse « détruire » à un moment ou un autre cette monnaie pour rééquilibrer son bilan. Le banquier va donc demander à l’emprunteur une hypothèque, un nantissement, une assurance, la caution d’une personne solvable, etc., tout ce qui lui permet d’éviter qu’il ne puisse pas « effacer » la dette à cause d’un défaut de remboursement. Accessoirement (mais c’est le plus important de l’histoire), il va vous demander en plus des intérêts, qu’il ne va pas vous prêter lui-même (ça n’aurait pas de sens pour lui), et que l’emprunteur va donc devoir trouver par d’autres moyens (vente, épargne, salaires, etc.) auprès d’autres détenteurs de monnaie.

Dans un premier rectangle, celui de la banque, à l’actif de votre bilan de banque vous écrivez le crédit (100 000 euros) et au passif vous écrivez 100 000 euros en « dépôt à vue » (c’est le compte courant de l’emprunteur). Sur le compte de l’emprunteur dans votre établissement vous aurez en actif « avoir à la banque » 100 000 euros, et en passif sa dette de 100 000 euros. Votre comptabilité de banquier est équilibrée : la monnaie ainsi créée est donc concrétisée par une inscription au compte (DAV) du client emprunteur et figure au passif de votre bilan bancaire. La contrepartie correspond à l’actif de votre banque par la création d’une créance sur le client emprunteur (l’acte de prêt). Le remboursement du crédit aboutira, de façon symétrique, à une destruction de monnaie en diminuant à la fois l’actif et le passif du bilan bancaire. La masse monétaire, constituée essentiellement par la monnaie scripturale, s’accroît donc lorsque les flux de remboursements (un « écoulement ») sont inférieurs aux flux des crédits nouveaux (un « remplissage »), et l’inverse. Dès que le crédit est inscrit au passif de la banque et crédité au nom de l’emprunteur, celui-ci pourra bien évidemment s’en servir comme il l’entend, payer ses fournisseurs, émettre des chèques ou des virements et sortir des espèces que ce soit directement au guichet ou dans un distributeur de cartes de crédit (très mal nommé ; il s’agit de cartes de paiement électroniques, même si les débits peuvent n’être effectifs qu’en fin de mois). Le dépôt à vue diminuera d’autant et de la même manière que « l’avoir à la banque », par contre l’actif de la banque restera identique au passif de l’emprunteur. Très vite une partie de cette monnaie se retrouvera sur d’autres comptes dans d’autres banques.

Au vu de ce qui précède, on pourrait penser que le pouvoir de création monétaire d’une banque spécifique est illimité, si elle a de la « demande de crédit solvable ». Mais le système bancaire est composé d’une multiplicité d’établissements, ce qui a pour conséquence que le pouvoir de création monétaire d’une banque spécifique n’est pas illimité, car les banques doivent répondre aux demandes de retrait de billets et assurer la conversion de monnaie scripturale en billets, suivant la demande de ses propres clients, mais également des clients des autres banques. Cette conversion a un nom : ce sont les « fuites ». Pour comprendre les « fuites », supposons qu’une banque crée de la monnaie scripturale à hauteur de 1 000 euros à la suite d’un crédit accordé à un particulier et crédite donc le compte de celui-ci. Ce dernier décide ensuite de convertir ce nouvel avoir sur son compte en billets pour un montant de 200 euros. La banque subit une « fuite » de 200 euros correspondant aux billets qu’elle doit se procurer auprès de ses collègues ou auprès de la Banque centrale. Dans les deux cas, c’est son compte à la Banque centrale qui est débité d’autant.

Les « refinancements », c’est ce qui sert à couvrir les fuites et ce sont des prêts (en général à court terme) de la Banque centrale aux banques commerciales qui ont quelques difficultés à trouver cette monnaie centrale sur le marché monétaire par manque de confiance de leurs collègues (« ce cher ami n’aurait-il pas proposé trop de crédits à des sociétés devenant insolvables ? »). Bien évidemment la Banque centrale fait payer un intérêt aux banques commerciales et prend des escomptes en garantie… tant que la banque commerciale peut offrir ces garanties, tout va bien ! Donc, à la suite de ces opérations, la création de monnaie scripturale inscrite au passif de la banque n’est plus que de 800 euros, mais la masse monétaire dans son ensemble (billets et dépôts à vue) a bien augmenté de 1 000 euros.

En résumé, la monnaie fiduciaire est émise par la Banque centrale (qualifiée d’institut d’émission) : cette monnaie centrale est émise principalement sous la forme de billets. Les banques commerciales ont le monopole de la création de monnaie scripturale sous forme d’avoirs matérialisés par une inscription dans les comptes bancaires (dont les principaux instruments de circulation sont les chèques et les cartes bancaires). Ce privilège, accordé aux établissements qui ont reçu un agrément des autorités et les banques commerciales, pour régler leurs dettes entre elles, sont tenues à l’utilisation de la monnaie centrale, celle de leurs comptes auprès de la Banque centrale dans un processus journalier que l’on appelle la compensation. Ce « principe » de la création monétaire selon les besoins, nous garantit que jamais nous ne manquerons de monnaie tant qu’il y aura de la demande, contrairement à l’époque où la monnaie était gagée sur l’or, évidemment en quantité limitée. Mais ce système présente un inconvénient majeur ; les emprunteurs vont devoir rembourser non seulement le capital emprunté (afin que les banques puissent solder l’opération sur leurs bilans), mais aussi payer des intérêts supplémentaires qui, il n’y a pas d’autre solution, représentent de la monnaie qui à son tour va devoir être créée suivant ce « système », monnaie des intérêts qui sera elle-même productive d’intérêts. Si « nous » voulons rembourser toutes les dettes aux différents créateurs de monnaie (banques centrales et commerciales), nous ne le pouvons pas. La spirale de l’endettement est sans fin.

Ce privilège de prêter N fois plus que ce qui leur est confié confère aux banques privées un pouvoir arbitraire sur l’économie : elles ont le choix des clients pour qui elles créent cette monnaie, et elles en tirent tout le bénéfice grâce aux intérêts qu’elles en exigent. Alors qu’elles n’en supportent pas tous les risques parce que les crédits qui sont ainsi ouverts constituent une monnaie privée sans garantie légale, contrairement à la monnaie centrale.

C’est un énorme pouvoir dissimulé, donc méconnu, parce que monnaie privée et monnaie centrale alimentent les mêmes comptes à vue, qui permettent de tirer les mêmes chèques. Ainsi monnaie privée et monnaie légale se confondent à l’usage, les crédits créés ex nihilo servent bel et bien de monnaie pour ceux qui reçoivent des chèques en paiement, quelle que soit la façon dont ont été provisionnés les comptes sur lesquels ces chèques sont tirés.

Tout va bien tant que les clients ont confiance dans ce système bancaire. Mais quand ils viennent tous en même temps retirer « du liquide » soi-disant équivalent à leurs avoirs, c’est l’effondrement du système et la ruine pour tous ses clients, comme cela s’est vu fin 2001 en Argentine, s’était produit en 1998 en Russie, un peu plus tôt en Thaïlande, et en Malaisie, et en Indonésie, etc. Or les institutions de crédit ont non seulement le pouvoir de créer l’argent et de le ramener à elles, ce qui leur permet d’acheter ce qu’elles veulent, mais elles ont, du même coup, un droit sur le patrimoine de leurs débiteurs quand ceux-ci sont défaillants.

Prenons un exemple : vous possédez un terrain et vous avez besoin de 10 000 euros pour construire votre maison dessus ; vous êtes obligé pour cela d’emprunter ces 10 000 euros à votre banque. Celle-ci, pour vous ouvrir ce crédit, ne les prend pas à un autre client. Elle inscrit dans sa comptabilité que vous lui devez 10 000 euros, plus tant pour les intérêts (ce qui, à terme, peut faire, disons… 18 000 euros), et elle prend une hypothèque sur vos biens. Si, à terme, vous lui payez les 18 000 euros, elle annulera votre dette, mais elle encaissera les 8000 euros d’intérêts. Et si vous ne pouvez pas régler les 18 000 euros, elle est en droit de se payer sur la vente, à laquelle elle vous forcera, de votre terrain ou de votre maison. De sorte que la permission donnée aux banques de créer de la fausse monnaie, de la monnaie privée, les rend gagnantes dans tous les cas, sauf si elles ont prêté à des clients insolvables. On comprend tous les efforts, enquêtes, publicités, démarches, souvent en connivence avec des agences immobilières et autres commerçants (qui sont preneurs dans les ventes à crédit organisées, c’est le cas par exemple des concessionnaires d’automobiles) pour organiser la chasse aux clients à qui prêter afin d’en tirer le maximum pour les plumer. La lutte contre le surendettement vise à discipliner les clients piégés, mais pas à interdire ces pratiques.

Comment, sinon par ces créations de monnaie ex nihilo, les multinationales auraient-elles pu acheter tant « d’actifs » au point qu’elles se sont retrouvées endettées de plusieurs dizaines de milliards d’euros ? Qui peut, non pas devenir milliardaire comme notre président invite les jeunes Français à le devenir, mais s’endetter de tant de milliards ? Ces quelques exemples laissent entrevoir le rôle joué par le crédit sur l’ensemble de l’économie. Et cet aperçu donne le vertige. On découvre que les organismes bancaires, qui ne produisent rien de tangible, ont en fait, grâce à cette monnaie privée qu’elles créent de toutes pièces, le contrôle des destinées des nations et de l’économie mondiale : elles peuvent contrôler les ressources monétaires mondiales, amener les gouvernements à quémander, elles peuvent même les manipuler, et donc faire et défaire des nations entières.

Le Trésor public est l’institution chargée d’appliquer la loi de Finances qui fixe, pour chaque année civile, les recettes et les dépenses de l’État. Cette mission lui pose deux problèmes d’équilibre. D’une part au quotidien, parce que le montant des recettes que perçoit l’État un jour donné n’est évidemment pas égal à celui des dépenses qu’il effectue le même jour. D’autre part, le budget annuel de l’État est rarement équilibré, il est pratiquement toujours en déficit, de sorte que le Trésor doit, pour assurer la totalité des dépenses, jouer aussi un rôle de trésorier, et pas seulement de gestionnaire, pour trouver un financement supplémentaire aux rentrées fiscales, supplément qui constitue la dette publique.

Comment fait le Trésor public pour réaliser ces deux équilibres ? Il dispose d’abord de la monnaie divisionnaire, puisque l’État a le contrôle de sa fabrication comme nous l’avons rappelé. Mais cela fait très peu puisque le montant de toutes les pièces n’est guère que 1 % de MO. L’essentiel de la monnaie dont dispose le Trésor est essentiellement sous forme scripturale, mais contrairement aux autres banques, sans avoir le droit d’en créer. Cette monnaie est constituée par les dépôts sur le compte du Trésor public et sur les comptes chèques postaux (les CCP). Les premiers sont effectués par les correspondants du Trésor. Avant le 1er janvier 2002, n’importe quel particulier pouvait être correspondant du Trésor, c’est-à-dire y avoir un compte, mais depuis cette date, c’est interdit et les correspondants du Trésor ne sont plus, exclusivement, que des organismes publics ou semi-publics et des collectivités locales. Par contre, tout particulier, toute association et toute entreprise, publique ou non, peut avoir un CCP. Ces comptes courants sont gérés comme des comptes bancaires par la Poste, mais ils figurent au passif du bilan du Trésor.

Quand vous disposez d’un revenu, par exemple un salaire ou une retraite, vous avez le choix de le déposer soit sur un compte bancaire, soit sur un CCP. Si vous choisissez un compte bancaire, la banque à laquelle vous vous adressez inscrit cette somme à son passif, ce qui veut dire qu’elle s’engage à vous la rembourser (et vous lui faites confiance), et elle inscrit en même temps cette somme à son actif, ce qui veut dire qu’elle en devient propriétaire, ce qui lui permet d’en disposer, par exemple pour le prêter ou pour ouvrir des crédits, qui rapporteront des intérêts à ses actionnaires. Si vous choisissez un compte chèque postal, la Poste inscrit cette somme au passif du Trésor, ce qui veut dire que l’État s’engage à vous la rembourser (ce qui est une garantie a priori plus sérieuse que celle d’une banque privée), le Trésor peut alors en disposer, mais contrairement aux banques commerciales, pas pour ouvrir de nouveaux crédits, mais seulement pour lisser, au jour le jour, les recettes et les dépenses de l’État.

Et au passage, que tout citoyen, et à plus forte raison tout fonctionnaire, n’ait pas de scrupule à choisir un CCP pour aider plutôt les services publics, qui nous concernent tous, que les intérêts privés des banques, surtout depuis qu’aucune de celles-ci n’est nationalisée. Il est probable que cette attitude résulte, là encore, de l’ignorance du public vis-à-vis de tous ces mécanismes, ignorance doublée d’un état d’esprit entretenu par des idées toutes faites : par exemple la Poste est souvent désignée avec mépris comme « la banque des pauvres », ce qui n’a pas de sens.

L’État est contraint d’emprunter au privé, puisque les dépôts sur les comptes du Trésor public ne constituent pas des ressources pour l’État, on se demande quelles ressources supplémentaires par rapport aux recettes fiscales le trésorier de l’État peut trouver quand le budget est en déficit. On découvre alors que la banque de l’État souffre d’un autre handicap par rapport aux banques commerciales. Parmi les attributions de la Banque centrale, elle est le « prêteur en dernier recours » pour toutes les banques commerciales qui peuvent ainsi faire appel à elle quand elles ont besoin de financement. On pense naturellement que le banquier de la France peut, comme les autres, faire appel, si besoin, à la BdF. C’était possible, et celle-ci accordait alors un crédit à l’État, directement sur le compte du Trésor public, ce qui correspondait à une création directe de monnaie centrale. Mais la loi du 4 août 1993, pour préparer l’Union économique et monétaire en Europe, a mis fin à cette possibilité. Cette loi imposait l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des gouvernements. La banque de l’État se voyait, par cette loi, interdire les moyens dont disposent les banques privées !

Notons qu’un tel transfert d’une partie des pouvoirs du gouvernement venait d’être jugé inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel… Qu’à cela ne tienne, on a trouvé un arrangement ! Alors, quelles ressources reste-t-il à l’État, qui doit pouvoir faire des investissements publics, pouvant éventuellement profiter à plusieurs générations, alors que ses recettes courantes ne peuvent pas les assurer ? Bien entendu, le gouvernement peut décider de « vendre les bijoux de famille », tant qu’il en reste, c’est-à-dire vendre son patrimoine immobilier, privatiser les entreprises publiques, vendre les actions que détient encore l’État par exemple dans Air France, EDF, la SNCF, etc. Et, bien sûr, faire appel au privé.

Le Trésor émet à cette fin des bons du Trésor, négociables à moyen terme, deux à sept ans, et des obligations à plus long terme (cf. partie I, chap. 17). Ainsi les personnes qui en ont les moyens peuvent avancer, sans risque, de l’argent à l’État, et celui-ci est tenu, non seulement de les rembourser à échéance, mais aussi de trouver un supplément de ressources pour leur payer les intérêts, qui sont également garantis. L’État met ainsi un placement sûr à la disposition, peut-être pas des plus riches car ceux-ci préfèrent des rendements meilleurs et plus rapides, mais de tous ceux qui disposent de plus de moyens qu’ils n’en ont l’usage immédiat. Et puisque les banques, elles, ont gardé le droit de créer de la monnaie, elles peuvent, comme les autres établissements de crédit privés, comme les fonds de pension américains ou autres… prêter à l’État pour en tirer des intérêts garantis ! En résumé, comme il ne fait pas partie des « établissements de crédit ayant reçu l’agrément des autorités monétaires pour la création de monnaie scripturale » et qu’il a abandonné l’essentiel de son droit régalien de battre monnaie, l’État est obligé, quand les rentrées fiscales sont insuffisantes pour investir dans le domaine public et pour financer le service public, d’emprunter à ces organismes privés. Et les contribuables doivent par conséquent les rembourser, en leur versant en plus des intérêts.

Dans de base les manuels universitaires de l’étudiant en droit politique, économie et gestion, on lit que lorsqu’une collectivité de paiement, la France par exemple, a des besoins de financement qui dépassent ses capacités de paiement, « c’est le rôle » du système financier de combler ce déséquilibre par la création monétaire, qui constitue le mécanisme par lequel le système bancaire répond aux besoins quand la collecte de fonds ne suffit pas. Point. C’est enseigné comme si c’était une loi de la nature, une obligation aussi incontournable que l’attraction universelle. On semble ignorer, ou considérer que c’est sans importance puisqu’aucune allusion n’y est faite, le fait que cette façon dont est créée la monnaie condamne l’ensemble des contribuables à verser une rente aux institutions financières. De sorte que personne ne se demande si ce n’est pas, au contraire, la banque de l’État qui devrait avoir seule le droit de création monétaire, quitte, bien entendu, à limiter ce droit par des règles de façon à ce que la monnaie soit créée dans la limite des possibilités productives du pays, mais dans l’intérêt général, sans paiement d’intérêts du public vers le privé. Ce n’est pas le fait que de la monnaie soit créée ex nihilo qui est anormal. Ce qui est intolérable, évidemment, c’est de donner à quelques particuliers le pouvoir de décider de ces investissements pour en dégager un profit pour eux et payé par les contribuables. Car ces paiements d’intérêts, qu’on appelle élégamment le service de la dette, correspondent à l’une des plus importantes lignes du budget de la France.

Mais que peut-on proposer en échange de ce système mortifère ? Comme nous en parlerons longuement dans la partie IV, comme Allais en France, comme Robertson en Angleterre, et comme bien d’autres économistes peu écoutés, nous suggérons que toute la monnaie, sous quelque forme que ce soit, soit émise par une Banque centrale, dont le mandat soit non seulement de limiter l’inflation, mais aussi celui de soutenir le financement des entreprises et des ménages avec des taux d’intérêt nominaux limités à l’inflation (taux d’intérêt nul), et un financement sans intérêt de l’équipement des collectivités publiques, ce qui signifie que le fonctionnement et les amortissements – les usures des biens – doivent être supportés par la solidarité nationale (recettes fiscales). Les ménages y gagneront, les entreprises y gagneront, l’État et le pays y gagneront. Seules les banques commerciales, qui seraient rémunérées comme intermédiaires en simples honoraires y perdront, mais après tout, est-il honnête de facturer 100 000 euros (les intérêts sont les honoraires des banquiers) pour l’écriture d’un contrat de prêt de 100 000 euros avec intérêts cumulés à 5 % sur quinze ans ? Les dividendes étant versés aux États, c’est la collectivité qui recevrait tous les intérêts « de base », soit, juste pour donner un exemple, à un taux de 5 %, c’est plus de 390 milliards d’euros d’intérêts qui seraient revenus aux populations de la zone euro en 2007.

Alors, parce que cette objection est habituelle, vous allez dire, l’histoire est là pour nous rappeler que le fait de permettre aux gouvernements de créer de la monnaie, la « planche à billets » est la recette de l’inflation. Il est vrai que les gouvernements féodaux et monarchiques du passé et certains gouvernements élus plus récemment, qui ont été chargés de la création monétaire, ont réveillé des tendances inflationnistes.

Néanmoins, le fait de confier directement la responsabilité de toute la création monétaire à une Banque centrale indépendante au lieu de laisser, comme maintenant, les banques commerciales influer indirectement sur le niveau de création monétaire ne signifie nullement le retour de l’inflation. En fait, avant la crise de 2008, entre 2001 et 2007, la masse monétaire en circulation a augmenté de 8 à 10 % par an (M3 : Indice 100 au 1er janvier 2001, indice 158 au 31 décembre 2006) au lieu de l’objectif de 4,5 % censé permettre le développement par une augmentation de PIB de 2,5 % et d’inflation de 2 % par an. L’inflation étant « jugulée » à moins de 2 %, il ne semble pas que l’augmentation de la masse monétaire ait un effet très sensible sur celle-ci : le lien de causalité entre la masse monétaire et l’inflation n’est plus que théorique. On trouve d’ailleurs la reconnaissance de cette réflexion dans l’éditorial du bulletin de février 2007 de la Banque de France : « De nombreux observateurs soulignent aujourd’hui l’abondance de la “liquidité” dans le système financier international. […] Malgré tout, la hausse des prix à la consommation est demeurée globalement maîtrisée et les anticipations d’inflation ancrées à un faible niveau. Seuls les prix des actifs immobiliers et financiers ont augmenté rapidement. Y a-t-il un lien de cause à effet avec l’expansion de la liquidité ? On ne dispose pas à ce stade d’un cadre complet d’analyse théorique. Néanmoins, de nombreux indicateurs permettent de le penser. »

Comme la masse d’argent en circulation dans le monde ne cesse d’augmenter, les banques centrales craignent l’inflation. Pourtant, les prix de détail restent stables. La masse monétaire, augmente de 20 % par an depuis quelques années. On pourrait trouver cela inquiétant car la théorie économique veut en effet que lorsque la masse monétaire s’emballe, elle crée tôt ou tard des pressions inflationnistes. La théorie économique néoclassique dit qu’un supplément d’argent provoque inévitablement une demande de produits et de services que l’offre n’est pas en mesure de servir autrement qu’en augmentant ses prix. L’inflation est apparue dans le monde pour la première fois lorsque les conquistadors retournèrent d’Amérique de Sud les poches pleines d’or. Ils pouvaient tout acheter et les prix ont flambé. Cette crainte de l’inflation hante désormais les gouverneurs de banques centrales. Ils voient partout le spectre de l’inflation et pour le confronter, ils relèvent leurs taux d’intérêt. Mais contre toute attente, le fantôme de l’inflation ne se manifeste pas, puisque les prix à la consommation évoluent de manière très raisonnable, même avec une masse monétaire qui augmente rapidement. La théorie serait-elle fausse ? Les prix de détail sont désormais soumis à la dure loi de la mondialisation et la concurrence mondiale interdit de relever ses prix comme on le veut. On observe même une baisse continue des prix comme ceux des nouvelles technologies. Aussi les indices de prix sont-ils relativement stables.

Mais alors, où va l’argent qui gonfle la masse monétaire ? Cet argent est pour l’essentiel entre les mains d’une poignée de gens très riches – cadres dirigeants, sportifs, artistes, rois du pétrole. Ces gens dépensent, mais pas comme tout le monde. Ils achètent des yachts, des propriétés, des bijoux, des œuvres d’art contemporain et des parts de fonds de private equity. La loi de l’offre et de la demande fait flamber les prix de ce qu’ils achètent, qui grimpent autrement plus vite que les prix de détail. Il se crée ce que l’on appelle l’inflation par les actifs. Or, même si elle fait peur, cette inflation-là n’a jamais provoqué l’inflation de base.

Au sujet de l’inflation des produits de consommation (inflation selon l’Insee) ; nous l’avons vu, comme l’ont calculé plusieurs économistes, l’intérêt cumulé dans les prix (à tous les stades de la chaîne de production et de distribution) – puisque la majorité des entreprises doivent se financer par l’emprunt – serait de l’ordre de 30 à 40 %, l’augmentation des taux du crédit que l’on voit poindre sous prétexte de risque d’inflation, loin de faire reculer celle-ci, aurait plutôt un effet contraire puisque les producteurs vont bien évidemment répercuter les augmentations des coûts du crédit sur leurs prix de revient. Par définition, les instituts d’émission, les banques centrales ont le monopole de l’émission de monnaie dite fiduciaire (pièces et billets). Cependant, si l’on prend l’ensemble de la création monétaire, c’est-à-dire M3 (les billets et pièces, plus toute la monnaie scripturale et électronique, les dépôts à vue, autres dépôts négociables et instruments divers négociables), l’on s’aperçoit que les banques commerciales privées créent entre 93 et 95 % de la masse monétaire totale et elles le font par le biais du crédit. Elles créent de la monnaie ex nihilo, même si cette création a lieu « sous garantie ». Ce sont les crédits qui forment les dépôts, et non pas les dépôts qui permettent les crédits ; car c’est avec la monnaie obtenue par crédit que l’on peut faire des opérations, procéder à des versements et que l’on peut déposer. Prétendre voir la dette comme une chose en soi, impliquant une contrainte objective, relève soit de l’ignorance, soit de la tromperie. La vraie question est en effet, qui a le pouvoir de créer la monnaie-crédit et pour en faire quoi ?

Il est aujourd’hui clair que ce pouvoir appartient aux banques privées, selon la loi des États et des traités européens, et que les États doivent leur emprunter, en leur vendant leurs titres de dettes (cf. partie I, chap. 17), ainsi que tous les acteurs économiques également bien évidemment. Quand l’État doit construire des routes, des hôpitaux ou des crèches, il doit emprunter aux acteurs privés, qui créent, eux, la monnaie à partir de rien, et payer un intérêt, au lieu de pouvoir lui-même créer l’argent dont il a besoin sans verser d’intérêt à quiconque.

Il s’agit là d’un choix politique qui n’a rien à voir avec l’intérêt général. Malheureusement, les hommes politiques jouent le rôle d’idiots utiles, ou de serviteurs zélés des banquiers, en clamant à tout vent que nous devons limiter les dépenses publiques et rembourser la dette sans en contester l’origine ni la fonction. Depuis la fin des années 1960 en France, on l’a vu, le pouvoir de ces acteurs privés, les banques, leur a permis de dépouiller l’État par l’accumulation d’intérêts ou service de la dette ! Alors, rembourser, mais au profit de qui ? Des réseaux du capital financier mondialisé dont les centres d’opérations sont la City et Wall Street. Tout l’argent soustrait aux États ou produit à partir de rien sert aux spéculations financières internationales. Ceux qui spéculent ont ainsi d’abord extrait des fonds (ils appellent eux-mêmes cela « cash extraction ») de la Bourse, puis du secteur immobilier et maintenant des produits agricoles et des matières premières, au détriment des producteurs, des consommateurs, de 99,99 % de la population !

J’ai expliqué avec plusieurs exemples et de différentes façons l’escroquerie à la base du capitalisme : le processus de création monétaire par les banques ; et cela peut paraître même parfois un peu répétitif, mais après lecture de ce chapitre, vous ne pourrez plus jamais dire que vous ne savez pas comment est créée la monnaie !

3 Once troy – symbole ozt, troy ounce en anglais – est l’unité de mesure de masse pour les métaux précieux comme l’or, l’argent, le palladium et le platine ou pour les pierres précieuses. Un XAU = une once troy d’or = 31,1035 (31,1034768) grammes d’or à 99,99 %.

4 Démonstration : postjorion.wordpress.com/monnaie

 



23/03/2018
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