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Les solutions d'un de nos prix Nobel d'économie : Maurice Allais

 

56 - Les solutions d'un de nos prix Nobel d'économie : Maurice Allais

 

« Le jugement éthique porté sur le mécanisme du crédit bancaire s'est profondément modifié au cours des siècles. (…) À l'origine, le principe du crédit reposait sur une couverture intégrale des dépôts. (...) Ce n'est que vers le 17e siècle, avec l'apparition des billets de banque, que les banques abandonnèrent progressivement ce principe. Mais ce fut dans le plus grand secret et à l'insu du public. Par essence, la création monétaire ex nihilo que pratiquent les banques est semblable, je n'hésite pas à le dire pour que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici, à la fabrication de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement réprimée par la loi. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents. » M. Allais, dans ''La crise mondiale aujourd’hui'' (Éd. Clément Juglar 1999).

 

« Les mécanismes actuels du crédit reposent sur des bases en très grande partie irrationnelles, dont l’origine historique est tout à fait empirique, qui n’ont jamais cessé de se révéler très dommageables et qui n’ont jamais été pensés très sérieusement, sauf par une minorité d’économistes, et cela aussi bien en France que dans les autres pays d’Europe occidentale et aux États-Unis. Alors que pendant des siècles, l'ancien régime avait préservé jalousement le droit de l'État de battre la monnaie et le privilège exclusif d'en garder le bénéfice, la République démocratique a abandonné pour une grande part ce droit et ce privilège à des intérêts privés. Ce n'est pas là le moindre des paradoxes de notre époque. » M. Allais soutenant un plan de couverture intégrale dans ''L'impôt sur le capital & la réforme monétaire'' 1974.

 

Maurice Félix Charles ALLAIS (1911-2010) devient, en 1988, le deuxième Français à recevoir le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel. C'est un économiste libéral et protectionniste : il est pour une économie de marché à l'intérieur de groupes d'États économiquement homogènes formant une même zone d'échange, mais contre l'ouverture douanière vis-à-vis de pays présentant de fortes disparités économiques (niveau de développement, protection sociale, normes environnementales, etc.). Issu d'un milieu modeste, il est major de sortie de sa promotion (1931) de l'École polytechnique. Ingénieur du Corps des Mines, il oriente sa carrière vers la recherche scientifique et l'enseignement. Il devient titulaire de la chaire d'économie de l'École nationale supérieure des Mines de Paris en 1944 où il professera quarante ans. En 1946, il est nommé directeur de recherche au CNRS. Ses premiers ouvrages furent : À la recherche d'une discipline économique (1943) et Économie et Intérêt (1947).

 

La reconnaissance internationale acquise par son prix Nobel lui donne l'assise médiatique pour se projeter dans le débat sur l'ouverture financière et la mondialisation. Il développe pour le grand public des thèses qui sont celles de son enseignement depuis longtemps, mais qui contreviennent à l'esprit général des grandes réformes financières et douanières entreprises depuis 1973. Il dénonce les changes flottants, la déréglementation financière et la suppression des protections douanières. Il annonce que toutes ces nouveautés provoqueront en Europe le déclin de l'emploi et dans le monde le risque d'une nouvelle Grande Dépression. À l'occasion de la crise dite « des pays émergents », en 1998, il annonce dans un article au journal Le Monde : « Ce qui doit arriver arrive ! ». Ses positions, contraires aux grands consensus de l'époque, ont souvent été exprimées de façon abrupte. La plupart ne seront généralement pas accueillies favorablement. La crise économique sévère que connaît le monde depuis 2008, et dont il s'était fait inlassablement l'augure dans de nombreux ouvrages successifs, a fait renaître le débat autour des analyses et des nombreuses questions sur lesquelles il avait pris des positions marquées.

 

La plus célèbre intervention d'Allais est son paradoxe, mis en évidence à une conférence de l'American Economic Society qui s'est tenue à New York en 1953, et divers articles publiés dans les années 1950. Les implications du paradoxe d'Allais donneront lieu à de multiples développements en théorie de la décision et en économie comportementale. La monnaie est au cœur des travaux de recherches économiques de M. Allais. Elle traverse toute son œuvre jusqu'aux Fondements de la dynamique monétaire (1999). La première formulation de l'équation de la dynamique monétaire a été présentée en 1953 : T D (t+T)= T D(t) + M(t) – Md(t) où D, M et Md représentent respectivement la dépense globale, l'encaisse globale détenue et l'encaisse globale désirée. T, le temps de réaction, est considéré comme constant. La formulation sera changée dans le mémoire de Paris de 1955, en considérant que T est une fonction de temps. Au fur et à mesure de ses recherches, de nouvelles variables sont introduites, comme l'appréciation psychologique de la conjoncture, puis la considération du temps psychologique. Allais développe alors une fonction de la demande de monnaie et une fonction de l'offre de monnaie, qu'il modifie en introduisant la considération du taux d'intérêt psychologique, avec cette assertion novatrice que le taux d'intérêt est égal au taux d'oubli. Ces thèses proposent une théorie behavioriste du comportement humain, qui implique des constantes de comportement dans des conditions très différentes. Par exemple, l'étude des hyperinflations fait apparaître les mêmes constantes de comportement dans les cas allemand et soviétique du début des années 1920, malgré l'ampleur des différences de régimes politiques et économiques. Ces théories, où une mathématique poussée s'attaque à des domaines aussi fragiles que la psychologie et l'oubli, conduisent Allais à reformuler des aspects importants de la théorie économique, la théorie quantitative de la monnaie, la trappe monétaire de Keynes, la théorie des cycles, le lien entre croissance et inflation.

 

Sa reformulation du modèle de Walras est la justification de son prix Nobel qui rend hommage, après le couronnement de son élève Gérard Debreu, nommé au même prix quelques années auparavant, à la rigueur mathématique apportée par M. Allais à la discipline. Les idées de M. Allais heurteront des pratiques couramment admises. Pour Allais, la clé d'une croissance sans cycle est la stabilité du rapport entre les encaisses désirées et les encaisses réelles. Il faut donc bannir tout ce qui vient troubler ce rapport : l'inflation, la création monétaire débridée et artificielle des banques, la spéculation, les changes flottants etc. Mais le prestige du prix Nobel ne lui permettra pas de voir ses idées généralement acceptées. Après avoir reçu son prix, Allais prit part au débat public sur l'organisation économique mondiale par de nombreux livres et articles. Certaines de ses suggestions ont été à l'encontre de toutes les pratiques qui se sont généralisées avec le flottement généralisé des monnaies, la dérégulation financière et l'abaissement général des frontières économiques dans l'esprit du consensus de Washington*.

 

* Le consensus de Washington est un corpus de mesures d'inspiration libérale appliquées aux économies en difficulté face à leur dette (notamment en Amérique latine) par les institutions financières internationales siégeant à Washington (BM et FMI) et soutenues par le département du Trésor américain. Il reprend les idées présentées en 1989 sous la forme d'un article par l’économiste John Williamson, soutenant dix propositions fortement inspirées de l’idéologie de l’école de Chicago.

 

Interpellé par la crise boursière de 1987, largement provoquée par des ordres de vente automatisés par des programmes informatiques, il dénonce la cotation continue comme contraire aux règles économiques qui veulent qu'un prix soit d'autant plus significatif qu'il est formé par la rencontre du maximum d'offres et de demandes, et sans autre utilité que de permettre des gains spéculatifs sans cause réelle, au prix d'une volatilité aggravée des marchés financiers. L'accident du 6 mai 2010 à la Bourse de New-York, où un ordre automatique a déclenché un krach technique massif, obligeant les autorités à annuler une séance de cotation, donne une actualité à cette prise de position très tranchée.

 

Allais considère que l'inflation est contraire à la vérité économique et fausse la bonne allocation des ressources. Afin de forcer la vérité économique des contrats, notamment des prêts, il demande l'indexation généralisée des contrats, notamment des intérêts. Cette idée, refusée par le monde de la finance et de la banque va également à l'encontre de toutes les politiques de désindexation menées depuis les grandes crises pétrolières.

 

Les dépôts faits par les particuliers doivent être effectivement des dépôts, c'est-à-dire un bien appartenant au déposant et dont la banque ne puisse pas disposer à sa guise. Dans ces conditions, le secteur bancaire ne peut plus créer de monnaie de crédit. Les banques ne pourront faire de prêts qu'avec des ressources de durée d'immobilisation comparable à celle des prêts. La création monétaire est réservée à l'État et les gains correspondants viennent en diminution des charges fiscales générales. En contrepartie, l'activité de gestion des paiements des banques devient payante pour les usagers comme n'importe quel service. Toutes les grandes récessions étant provoquées, selon Allais, par les dérèglements des crédits, on obtiendrait ainsi une croissance plus régulière. Ces idées, déjà développées par Irving Fisher dans la foulée de la crise de 1929, ont été partiellement reprises au Royaume-Uni à la suite du sauvetage très coûteux du système bancaire britannique sous la forme du concept de « banque étroite » de l'économiste anglais John Kay. Mais l'idée dominante reste celle de la « régulation » de la transformation bancaire et de la création de monnaie par les banques, plus que leur interdiction. Les phrases très dures qu'il a écrites sur le sujet comparant les banques à des faussaires lui ont valu l'appui de certains mouvements altermondialistes et le rejet par l'establishment politique et financier.

 

Allais, comme d’autres avant lui, distinguait la rente du capital des revenus du travail de ceux qui l’utilisaient. Pour ces économistes, un titre de propriété coexiste – sans les remplacer – avec les droits de la société sur la terre et d’autres biens, fruits du travail qui a contribué à leur formation. Il proposait que cette rente revienne à la collectivité sous forme d’un impôt forfaitaire, annuel, anonyme et impossible à éluder de 2 % sur le capital physique (terrains, bâtiments, équipements). Les détenteurs du capital étant tenus de payer à la société un loyer pour le droit d’en disposer, les revenus du travail, tant des particuliers que des entreprises pourraient dès lors être exemptés d’impôts. Ce qui paraissait possible, à condition que l’État récupère aussi la totalité des bénéfices de la création de monnaie. Allais contestait la logique d’une taxation des revenus qui frappait plus lourdement les acteurs les plus performants, moins ou pas du tout ceux qui gaspillaient leur capital, et que la collectivité avait intérêt à voir remplacer par des opérateurs plus dynamiques.

 

Allais n'a jamais admis la politique de suppression systématique des barrières douanières qui a été suivie depuis 1974 en Europe. Favorable au libre-échange, il considère néanmoins que lorsque les écarts de niveau de vie et de système de production sont trop grands, il devient contre-productif et qu'il faut mettre des soupapes de sécurité afin d'éviter la perte de l'industrie et de l'agriculture des pays les plus développés. Le libre-échange doit être dosé. Ces positions contraires à la pratique généralisée des États occidentaux depuis 1974 ont peu à peu mis Allais dans la position d'un dissident. La crise en cours depuis 2007, la désindustrialisation en Europe et les délocalisations massives ont redonné une certaine actualité à ces positions longtemps contraires à l'esprit du temps.

 

Tout sur ce personnage hors du commun annales.org/archives/x/allais.html & fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Allais

 

Maurice Allais est l'un des esprits les plus brillants de notre temps. Physicien et économiste, il a réussi à imprimer sa marque dans ces deux disciplines. Aussi bien en Physique qu'en Économie, il a passé sa vie à rechercher l'anormal, l'exceptionnel, et à redresser ce qu'il pouvait y avoir de faux dans les idées reçues. Ce site a été créé par plusieurs de ses élèves et admirateurs, et lui est dédié. - allais.maurice.free.fr

 

Voici un texte essentiel de Maurice Allais : La crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires. Ce fut d’abord un article clairvoyant et décapant publié dans Le Figaro des 12, 19 et 26 octobre 1998, puis il fut repris et annoté dans un livre passionnant publié aux éditions Clément Juglar - gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33362562 . De nombreuses notes et annexes supplémentaires que vous trouverez dans le livre permettent à l’auteur de répondre aux objections qu’on lui a présentées. L’ensemble est remarquable, vivant, utile : c’est de l’économie politique, à usage citoyen. La table des matières de l'article à l'origine du livre :

1. La Grande Dépression de 1929-1934 et ses enseignements essentiels / La hausse des cours et leur effondrement - Une hausse des cours de bourse démesurée au regard de l’économie réelle - La dépression - Un endettement excessif - Des mouvements massifs de capitaux et des dévaluations compétitives - Facteurs psychologiques et facteurs monétaires - La Grande Dépression de 1929-1934 et le mécanisme du crédit - Rien de fondamentalement nouveau dans la crise de 1929.

2. La crise mondiale d’aujourd’hui / La propagation de la crise - La crise mondiale d’aujourd’hui et la Grande Dépression. De profondes similitudes - La création et la destruction de moyens de paiement par le mécanisme du crédit - Le financement d’investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme - Le développement d’un endettement gigantesque - Une spéculation massive - Un système financier et monétaire fondamentalement instable - L’effondrement de la doctrine laissez-fairiste mondialiste.

3. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires / Des facteurs majeurs - Le système du crédit - La réforme de l’indexation. La stabilisation de la valeur réelle de l’unité de compte - La réforme des marchés boursiers - La réforme du système monétaire international - Les vérités établies (les dogmes) contre la raison. - etienne.chouard.free.fr/Europe/Maurice_Allais_1998.pdf

 

Une «vieille» idée peut-elle sauver l’économie mondiale ? Un réexamen de la proposition d’une réforme radicale du système bancaire : L’imposition d’un coefficient de réserves de 100%. Article de Christian Gomez - Docteur d’État en Sciences Économiques et ancien élève de M. Allais : - osonsallais.files.wordpress.com/2010/02/gomez-100.pdf (présenté lors du colloque « la crise : trois ans après, quels enseignements ? » (février 2010). Cette présentation est dédiée à tous les plus grands économistes qui ont voulu réformer le fonctionnement du système bancaire : David Ricardo, les économistes de la Currency School, Léon Walras, Ludwig Von Mises et tous ses successeurs, notamment Murray Rothbard, Friedrich Von Hayek (Prix Nobel 1974) , les économistes de Chicago, en premier lieu Henry Simons, Frank Knight et Jacob Viner, Irving Fisher, qui y a consacré toutes ses forces jusqu’à sa mort en 1947, Fritz Machlup, Jacob Marshak, George Stigler (Prix Nobel 1982), Milton Friedman (prix Nobel 1976), James Tobin (Prix Nobel 1981), sous la forme du « narrow banking », Maurice Allais ( Prix Nobel 1988), Hyman Minsky…

 

Article de Gabriel Galand «Une monnaie à garantie totale, une vieille idée qui fait son chemin»  sur - osonsallais.wordpress.com/2012/09/15/gabriel-galand/ (présenté lors du colloque monnaie – économistes atterrés – Mars 2012)

 

En 2009, dans une lettre adressée à Jacques Cheminade, Maurice Allais déclare s'associer à « l’appel de l’Institut Schiller et de M. Lyndon LaRouche en vue du sauvetage de l’économie mondiale ». Il dénonce une nouvelle fois ce qu'il appelle « l'aveuglement de la logique néolibérale et de la libéralisation totale du commerce international » en plaidant pour un « protectionnisme éclairé ». Son engagement politique contre la mondialisation et pour le protectionnisme lui vaudra de perdre sa visibilité médiatique et, malgré son prix Nobel en économie, très peu de journaux ont publié des entretiens de M. Allais depuis 1988. Bien qu'il fût un fédéraliste européen convaincu, il a toujours rejeté l'idée d'une Europe libérale, notamment en prenant publiquement position contre le Traité Constitutionnel Européen. Il s'est également exprimé sur l'Europe dans l'ouvrage paru en décembre 1995 : L'Europe en crise. Que faire ?

 



16/03/2018
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