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Gandhi et Ruskin, des exemples à suivre

 

83 - Gandhi et Ruskin, des exemples à suivre…

 

La pensée de Gandhi peut apporter une réflexion nécessaire à l'évolution du monde entier, et des pays occidentaux en particulier. Les mots à la base de la philosophie de la non-violence en action sont "ahimsa" – absence de violence et "satyagraha" – force de la vérité (satya : vérité et graha : fermeté). De nombreux auteurs ont déjà montré l'intérêt universel de la philosophie de Gandhi. Déjà en 1924, à l'aube des luttes non-violentes pour l'indépendance de l'Inde, Romain Rolland écrivait que cette philosophie est "le véhicule d'une nouvelle raison de vivre, de mourir, et d'agir pour toute l'Humanité" et apporte "à l'Europe épuisée un nouveau viatique". Une partie des problèmes de la société occidentale, comme l'échec de nombreux mouvements révolutionnaires, tient à l'ignorance de l'un des principes fondateurs de cette pensée. La perte de la crédibilité de la politique aujourd'hui découle de l'absence d'un minimum d'éthique dans la conduite et la gestion des affaires publiques. C'est dans ce domaine que la science politique de Gandhi nous serait le plus profitable. En fait, ce n'est pas seulement cette pensée et cette œuvre que nous devons redécouvrir, c'est un ensemble de philosophies, d'auteurs qui montrent que l'approche exclusivement économique des problèmes de société est fondamentalement erronée.

 

John Ruskin est le chef de cette école. L'un des premiers, il a dénoncé le capitalisme qui détruit le tissu social et crée la pauvreté. Nous devons admettre que le colonialisme culturel occidental a propagé une vision uniquement mercantile des problèmes. Il faut aussi abandonner l'idée que "tout ce qui accroît la production de ressources données accroît le bien-être". L'idée que les biens matériels sont importants, et qu'ils sont le point principal dont le bien-être et le bonheur dépendent, est le cœur de notre problème. Par opposition, la pensée de Gandhi repose avant tout sur une éthique, une morale religieuse. Il affirme, "sans la moindre hésitation, mais aussi en toute humilité, que ceux qui disent que la religion n'a rien à voir avec la politique, ne savent pas ce que signifie la religion." Et cette foi est tout le contraire de l'intégrisme qui resurgit aujourd'hui dans certaines religions, dans le christianisme et l'islam en particulier.

 

Rajni Kothari, un auteur indien, écrit : "En définitive, Gandhi avait raison : politique et religion sont étroitement jumelées. Ou bien l'État est un instrument de la moralité, ou bien il devient un instrument d'une action – que ce soit le progrès ou la gloire nationale, ou la gloire de la personne qui est censée personnifier le destin de tout le peuple. Libéré des impératifs moraux, l'État devient totalitaire, quelle que soit sa Constitution." Ceci est également vrai pour nos démocraties. L’article de Kothari montre bien les causes des graves crises du monde moderne : intégrismes contre dictatures militaires, fanatismes religieux contre oligarchies d'État… . Il insiste sur l'influence des leaders indiens, et de Gandhi en particulier, pour "imprégner la politique d'un code moral, pour lui associer le concept de service, de devoir".

 

La persistance, consciente ou inconsciente, d'une prétendue supériorité de notre civilisation par rapport à d'autres contribue à maintenir un préjugé défavorable à l'égard de la pensée de Gandhi. Ce préjugé est particulièrement fort contre la civilisation indienne sur le plan économique et social. Il repose sur une méconnaissance de cette civilisation autant que sur un "racisme intellectuel". La persistance de graves problèmes économiques en Inde voudrait montrer la supériorité du matérialisme occidental. Ces mêmes analyses sous-estiment, voire nient, le flux constant de richesses et de personnes qualifiées des pays du Sud vers les pays occidentaux, depuis le début de la colonisation jusqu'à ce jour. On doit souligner que l'indépendance des pays dominés n'a pas arrêté ce flux. Plusieurs auteurs ont bien montré les causes du sous-développement économique de ce pays : la ponction sur l'économie indienne de la puissance colonisatrice britannique, puis des pays capitalistes à cause du prix très bas des produits exportés.

 

Erikson écrit que l'Angleterre, "en dépit de ses lumières et de ses idéaux élevés, a exploité et drainé l'Indian subcontinent dans quatre domaines de la vie nationale : l'économie, la politique, la culture et l'esprit". L'industrialisation et le développement économique de l'Europe occidentale, en particulier de la France et de l'Angleterre, coïncident avec le développement de leurs puissances coloniales respectives. Au XVIIème siècle, le niveau de vie des paysans indiens était supérieur à celui d'aujourd'hui. Il n'y avait pas de famine en Inde avant l'installation du pouvoir politique colonial. La misère n'est apparue qu'avec la colonisation. Le problème démographique est une conséquence de la misère, et non une cause comme veulent le faire croire bon nombre d'occidentaux. Bien sûr, aujourd'hui, un cercle vicieux s'est installé, dont l'Inde a bien du mal à sortir. Enfin, le système social traditionnel de l'Inde n'a pas pour objectif un enrichissement économique, mais un développement spirituel. Le capitalisme comme le marxisme affirment que l'industrialisation des pays du Sud est nécessaire au bien-être de leur population. Ce que réfute totalement Gandhi.

 

La croyance qui tient la possession d'un bien-être matériel comme le but ultime à atteindre est originaire de l'Occident. L'objectif de l'hindouisme est "la fondation d'une société universelle totalement imprégnée de valeurs religieuses universellement reconnues. (…) Chaque individu devrait ainsi associer dans sa vie la quête personnelle de la connaissance de soi à une contribution nécessaire au bien-être de tous dans la société. (…) Chaque membre de la société doit ainsi contribuer au maintien d'un ordre qui constitue la seule garantie de son propre bien-être." La société occidentale est donc caractérisée par une recherche du profit personnel. Ce comportement est le plus souvent inconscient et se révèle à l'encontre d'une société qui a une conception de base différente. Cela explique à la fois la fascination des Occidentaux pour la société indienne et le choc psychologique ressenti par eux à la rencontre de cette société. "Le refus d'une source de moralité et d'autorité transcendante à la personne humaine et la promotion de l'homme comme centre de l'Univers ayant la charge de le régenter, sont à la base de la conception occidentale du monde." C'est aussi la base de nos problèmes ! Devant l'impasse dans laquelle nous nous sommes engagés, notre seule possibilité est de chercher des solutions à l'extérieur de notre société.

 

Il est aujourd'hui admis que les ressources de la planète, en particulier énergétiques, ne peuvent soutenir une consommation comparable à celle des pays occidentaux pour l'ensemble de l'Humanité. L'air pur, l'eau potable, les terres cultivables ne sont pas inépuisables. Les quantités disponibles d'énergies fossiles sont limitées. La production de déchets met en danger notre futur. Gandhi avait déjà prévu cette situation avant qu'elle fasse l'objet de campagnes électorales : "Si la Terre produit assez pour les besoins de chacun, elle ne produit pas suffisamment pour l'avidité de tous."

 

La pensée de Gandhi s'oppose principalement à celle de Descartes. Pour ce dernier, la morale n'est qu'une des branches de la philosophie, alors que la morale est le fondement absolu de la pensée de Gandhi. Descartes différencie une morale provisoire et une morale définitive, et soutient que le progrès de la science bénéficie à la morale. L'arme atomique, l'expérience des pays communistes et des chambres à gaz nazies nous montrent où cela nous mène : à la négation des Droits de l'Homme qui fondent nos démocraties ou à la destruction de l'Humanité. Gandhi, par contre, subordonne tout progrès scientifique ou technique au contrôle de la morale. Si ce contrôle n'existe pas, les découvertes scientifiques ne sont pas utilisées pour une plus grande connaissance de l'être humain, mais comme palliatif des problèmes sociaux ou pire, comme source de profit aux dépens d'êtres humains ou de la nature. Tout progrès scientifique ou technique qui n'est pas accompagné d'un progrès social et spirituel est une déformation vicieuse de notre capacité intellectuelle. Tenter de résoudre un problème par une avancée de la technique plutôt que par un progrès social et spirituel, conduit à déplacer ce problème dans l'espace ou dans le temps. La technocratie, c'est-à-dire un système où les techniciens ont une influence prépondérante – c'est-à-dire le nôtre – ne peut engendrer une société où l'être humain est pleinement épanoui. La prépondérance du matériel sur l'humain aboutit à des aberrations à tous les niveaux de la société.

 

On fait rouler des véhicules avec du carburant produit avec des végétaux qui pourraient être consommés. On étudie la psychologie humaine grâce à des expériences sur des souris en cage. On oublie que l'homme n'est pas une machine qui fonctionne si on lui fournit un carburant chimiquement adéquat. Le même type de raisonnement conduit invariablement à des conclusions erronées, à des monstruosités qui avilissent l'homme. Pour comprendre la pensée de Gandhi, comme toute pensée d'origine non-occidentale, nous devons donc dissocier la notion de culture de celle de civilisation. La civilisation ne peut se définir uniquement par un certain état de la culture, de la science, de la technique, de la politique, de l'économie, du social ou du droit. Si l'idée de civilisation est associée à une idée de valeur, ce ne peut-être que de valeurs morales. Nous déclarons une société positive ou évoluée selon des critères propres à notre civilisation, et qui n'ont rien d'universels. Si nous prenons comme critère l'évolution spirituelle de ses membres, la civilisation indienne, qui a pour leitmotiv la recherche de l'Absolu, ne peut être qu'une "grande" civilisation. Et Gandhi, l'un de ses derniers rénovateurs, ne peut être qu'un homme de morale.

 



23/03/2018
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